La R&D, un argument concurrentiel
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Éric Le Goff, président d’Abilis : « On se bat contre des sociétés de services qui vendent du temps-personne. […] Notre logique est très différente, car nous devons faire en sorte de livrer les projets en utilisant moins de ressources. » | Claude Vigeant, président de OKIOK : « Il faut éviter d’être impulsif dans ce secteur- là : quand on a une idée, il faut s’assurer que quelqu’un d’autre ne l’a pas déjà eue. » |
Pour éviter la délocalisation
Le fait d’être plus efficient permet, en outre, à Abilis de ne pas avoir à délocaliser ses ressources dans des pays en développement pour réduire ses coûts et ainsi de conserver l’ensemble de ses ressources au pays, près de ses clients, contrairement aux grands fournisseurs. À l’argument financier s’ajoute donc l’argument de la proximité. « Souvent nos concurrents, même canadiens, vont ouvrir des centres de développement en Inde, indique Éric Le Goff. Si on compétitionne avec ces entreprises, il est clair que nos coûts horaires sont plus élevés que l’équivalent indien. Et comme nous ne voulons pas délocaliser nos ressources […], nous devons produire plus vite et avec moins de ressources que nos concurrents et fournir des solutions mieux adaptées à leurs besoins, ce qui est plus facile à faire en étant situé localement. » M. Le Goff estime que grâce à l’innovation, tout en produisant à Montréal, son entreprise est en mesure de proposer des tarifs de 20 % à 30 % inférieurs à ceux consentis par les grandes firmes, « même lorsqu’elles délocalisent des ressources en Inde ». Les entreprises ne sont évidemment pas indifférentes à cet argument qui en a décidé plus d’une à opter pour ses services. Cela a même été le cas d’une grande entreprise de communications, dont Abilis a voulu taire le nom, qui bénéficiait d’une relation privilégiée avec une grande firme de services TI et qui a quand même décidé de confier la refonte de son site Web à Abilis en 2005. « En travaillant sur le même document d’appel d’offres, on a été capable de proposer l’équivalent de 15 personnes à temps plein, localisées à Montréal et au forfait, versus 40 personnes, dont 25 en Inde, avec aucune garantie de résultats, soutient Éric Le Goff. Et même en proposant des tarifs moindres, on est trois fois plus rentable par dollar de chiffre d’affaires que la moyenne de l’industrie […] parce que nos processus sont plus efficaces et que notre taux d’utilisation des ressources est de pratiquement 100 %. »
La R&D, de A à Z
OKIOK, qui a à son actif trois à quatre technologies et méthodologies nouvelles et sept à huit nouveaux produits commerciaux, trouve son inspiration pour ses projets de R&D auprès de ses clients. Non seulement les projets qu’elle privilégie doivent répondre aux besoins spécifiques d’un mandat qui lui a été confié et pour lequel il n’existe pas de solutions commerciales, mais elle est à l’écoute des suggestions que lui font ses clients. Cela implique que l’entreprise conserve des bons liens avec ses clients. « Le fait qu’on a un volet ‘Services professionnels’ nous donne un contact direct avec la clientèle; ça nous permet d’anticiper les besoins, souligne le président de l’entreprise, Claude Vigeant. On a aussi des gens qui sont générateurs d’idées dans l’entreprise qui peuvent proposer des nouvelles façons de faire. On met tout ça ensemble et on fait sortir les meilleures idées et on prend des décisions d’investissement en fonction de la disponibilité des équipes et des priorités de l’entreprise – une planification est faite annuellement pour déterminer les secteurs où on va mettre nos efforts. Bien qu’on préfère le contact avec la clientèle, parce que cela a plus de chances d’amener des sous dans la compagnie, la génération spontanée d’idées peut produire des résultats très intéressants. » L’entreprise évalue ensuite la pertinence, la faisabilité et, surtout, le potentiel commercial du projet soumis à son attention. C’est l’étape de la validation. Celle-ci peut se faire soit à l’interne, par l’entremise d’un comité de spécialistes et de gestionnaires, soit à l’externe, auprès d’utilisateurs en entreprise, notamment chez le client quand le projet répond à une demande particulière d’un client. « C’est une avenue qu’on utilise, mais ce n’est pas la seule, car parfois elle ne permet pas une validation complète des concepts, soutient Claude Vigeant. Ça compte pour environ 40 % du processus de validation. Le 60 % restant, c’est le flair, le pif! Parfois, on a un coup de coeur pour une idée, une technologie dont on pense qu’elle a une bonne chance de percer, parce qu’elle est unique et qu’elle amène un concept nouveau, une innovation sur le marché. […] « Il faut éviter d’être impulsif dans ce secteur-là : quand on a une idée, il faut s’assurer que quelqu’un d’autre ne l’a pas déjà eue. Aujourd’hui, cela est de plus en plus complexe, on marche sur un terrain miné : à peu près toutes les bonnes idées ont déjà été brevetées, ce qui n’était pas le cas au début des années 1980, alors que ce n’était pas courant de faire breveter des logiciels : il suffisait d’avoir une bonne idée pour aller de l’avant. Il faut donc faire une recherche approfondie du marché. » Un coup le projet choisi, la firme doit en planifier la réalisation, tout en s’assurant de le valider périodiquement.
Rentabiliser la R&D
Chez Abilis, la réalisation d’un projet de R&D prend en moyenne de trois à quatre mois, ce qui représente un investissement d’environ 200 000 $ par projet; l’entreprise réalise de trois à cinq projets par année. Au terme du projet, la technologie développée appartient soit au client, soit à Abilis qui va ensuite essayer de la réutiliser et de la commercialiser auprès d’autres clients qui vont en payer les droits d’utilisation. Mais c’est toujours un pari que fait la firme-conseil qui décide de conserver la propriété de la technologie, puisqu’il n’y a aucune garantie qu’elle pourra trouver preneur sur le marché, auprès d’autres organisations, par la suite. Cela fait partie du risque que doit gérer la firme. À ce risque s’ajoute un autre risque, encore plus conséquent, soit que les efforts et les argents investis dans un projet de R&D n’aboutissent jamais à un produit concret. Les programmes gouvernementaux de crédits d’impôt en R&D contribuent considérablement à réduire le risque financier encouru par l’entreprise. « Quand on a déterminé qu’un projet était éligible à la R&D, on entame le processus de suivi administratif qui va nous permettre de nous qualifier pour les crédits d’impôt à la R&D, explique le président de l’entreprise, Éric Le Goff. […] Ça, c’est une bonne chose parce qu’on sait qu’une partie du coût va être couvert [par les programmes gouvernementaux]. Et en plus, si on conserve la propriété de la solution, on va pouvoir la commercialiser auprès d’autres clients, ce qui est encore mieux. » Dans ce dernier cas, l’entreprise doit s’assurer ensuite de modifier et de « généraliser » la solution qu’elle a développée pour un client spécifique pour la rendre utilisable par un grand nombre d’organisations. « C’est le modèle qu’on privilégie, confie le président d’OKIOK, Claude Vigeant, car ça permet de s’assurer que les idées qu’on a sont valides, car il y a au moins un client qui utilise la solution qu’on a développée. On espère toujours que les solutions qu’on développe rejoindront plus tard un éventail plus large de clients. […] Ça arrive que la solution ne rejoigne pas d’autres clients par la suite, ce n’est pas souvent, sinon on ne serait pas là pour en parler aujourd’hui [rire], mais ça arrive et ça fait partie du risque. Mais je dirais qu’on a quand même une bonne moyenne au bâton! » OKIOK, dont les projets de R&D prennent plus longtemps, parfois jusqu’à trois ans, puisqu’ils sont réalisés à temps « partiel », applique la même stratégie qu’Abilis pour rentabiliser ses investissements en R&D. Mais cela peut prendre cinq ans, voire plus, pour rentabiliser un projet. La rentabilisation de l’investissement survient parfois lorsque la technologie est acquise par un grand fournisseur, plusieurs années après qu’elle ait été créée; cela a notamment été le cas de sa solution de gestion des accès Web, développée à la fin des années 1990 et qui combine la fédération des identités, les services de jeton pour protéger des services Web et la gestion de la vie privée, qui a été achetée par Siemens en 2005. « Ça constitue aujourd’hui la fondation de l’offre de Siemens en matière de sécurité, précise Claude Vigeant. C’est quelque chose qu’on a développé de toutes pièces, suite à des besoins exprimés par nos clients. Cela a nécessité un investissement d’un à deux millions $ sur trois ans. C’est sûr que les crédits de R&D ont aidé, mais il a quand même fallu trouver cet argent-là, ce qui n’est pas facile pour une PME. Mais pour les autres solutions qu’on a développées, mais qui n’ont pas achetées par un fournisseur d’envergure comme Siemens, il faut être patient pour récupérer notre investissement. Ça demande de travailler avec des partenaires, pour être capable d’élargir la distribution des solutions dans le monde. »